Numismatique

 

 

L’ATELIER MONETAIRE D’ARLES

(313-476)

 Philippe Ferrando

 

 

Il faut attendre les premières années du IVe siècle de notre ère pour voir frapper du numéraire dans la cité arlésienne. Cela peut paraître étonnant car d'autres villes voisines comme Marseille, Nîmes ou Avignon, émettaient alors des monnaies depuis bien longtemps. C’est en 313 précisément, que Constantin le Grand, après avoir éliminé Maxence fin 312, décide de transférer l'atelier monétaire d'Ostie vers Arles où l'empereur choisit d’établir l’une de ses résidences [1].

 

Constantin utilise la position avantageuse d'Arles. La ville est située près d’un fleuve important utilisé pour le commerce et d’un carrefour de voies routières très fréquentées (Voie Agrippa, Voie Aurélienne, Voie Domitienne). L’atelier monétaire d’Ostie est trop près de celui de Rome qui fabrique déjà du numéraire dans quatre officines. Le transfert permet d’augmenter une production déjà assurée par les ateliers de Lyon et de Trèves, assurant ainsi une quantité suffisante de monnaies pour alimenter le sud de la Gaule et l’Espagne. De plus, en pleine période de conflits, l’atelier d’Arelate, avec ses quatre officines, va fournir le numéraire nécessaire pour financer les campagnes militaires. On peut situer la date d'ouverture de l'atelier arlésien au printemps 313 (en avril ou mai) juste avant la réduction de la taille de la monnaie de billon (taille de 1/72e de livre pour un poids moyen de 4,55 g à 1/96e de livre pour un poids moyen de 3,36 g.).

 

La forte ressemblance du style des premières monnaies d'Arles avec les dernières espèces d'Ostie prouve le transfert de graveurs d’un atelier à l’autre. Le nombre d'officines (quatre) ainsi que la grande variété des types monétaires (14 coins de revers pour l’or et 19 coins de revers pour le bronze d’avant la réforme) sont autant d'éléments qui démontrent que l'atelier a su s'organiser très rapidement.

 

Entre 313 (règnes de Constantin Ier et de Licinius Ier) et 476 (règne de Romulus Augustule et fin de l’Empire d’Occident), pratiquement tous les empereurs, légaux ou usurpateurs, soit trente sept souverains, ont fait battre monnaie dans l’atelier arlésien en émettant plus de cent cinquante types de revers. Si l’on comptabilise les variantes d’émissions et les officines, on aboutit à un nombre supérieur à mille sept cent pièces différentes. Si l’on considère que l’on utilisait en moyenne quatre à cinq coins différents d’avers et de revers pour chaque type (les coins se cassaient très souvent), il a fallu que les scalptores (graveurs de coins) fabriquent en 163 années plus de quinze mille coins différents !

 

Les historiens et les archéologues arlésiens se sont interrogés de longue date sur l’emplacement de l’atelier monétaire. Celui-ci nécessitait, bien évidemment, une surface de bâtiments très importante et un grand nombre d'employés, généralement de condition servile. De nouvelles découvertes archéologiques viennent confirmer que l’atelier se situait près du Forum, plus précisément entre le Forum et les Thermes dits « de Constantin ».  Une fouille menée en 2001 par les archéologues arlésiens a permis en effet de découvrir dans une cave toute proche, une vingtaine de flans monétaires dans quatre strates archéologiques différentes[2].  En  supprimant les flans fragmentés de l’ensemble, on obtient un poids moyen de 3,32 g, ce qui correspond tout à fait au poids moyen théorique des nummi de cette époque (3,36 g). De plus, des prospections archéologiques menées dans d’autres caves ont permis de recenser un bâtiment rectangulaire de grande taille, sans éléments architecturaux particuliers, qui pourrait être identifié comme l’atelier monétaire.

 

A l'ouverture de l'atelier arlésien, deux empereurs sont représentés à l'avers des monnaies : Constantin, qui règne sur l'Occident, et son beau-frère Licinius, qui contrôle l'Orient. Le monnayage de Constantin le Grand domine largement avec près de 83 % de pièces à son effigie contre 17 % pour Licinius [3].

  

Ces premières monnaies perpétuent des thèmes déjà utilisés dans l'atelier d'Ostie et reprennent d'une manière générale les types de revers en usage dans l’ensemble de l’Empire. Le style des bustes impériaux des monnaies d’Arles se rapproche de celui des ateliers italiens, notamment Rome ou Aquilée. Les ateliers de Lyon et de Trèves ont quant à eux un style différent, montrant que les graveurs de coins appartiennent à une autre « école ». Si l’on compare également les productions d’Arles à celles des ateliers orientaux tels que Siscia, Antioche ou Héraclée, on constate que les différences sont encore plus marquées.

 

Les premières espèces de bronze sont frappées au 1/72e de livre. Elles sont reconnaissables à leur grand diamètre, mais surtout à la lettre C (CAESAR) située juste devant le nom de l’empereur (IMP C CONSTANTINVS PF AVG et IMP C LICINIVS PF AVG). La durée de frappe de cette première émission est très courte, la réduction au 1/96e de livre intervenant au maximum deux ou trois mois après l’ouverture de l’atelier. Ces pièces sont donc d’une grande rareté [4].

Un peu plus tard, apparaissent des espèces au revers MARTI CONSERVATORI « à Mars sauveur » et aux légendes VTILITAS PVBLICA (« L'intérêt public ») et PROVIDENTIAE AVGG (« A la providence des Augustes »).

 

Ces deux dernières monnaies sont très intéressantes car elles sont spécifiques à l'atelier d'Arles. Elles illustrent le départ de la Monnaie d'Ostie (le navire quittant Ostie, représenté ici par Rome personnifiée[5] avec à son bord la Monnaie tenant une corne d'abondance), puis son arrivée à Arles (le navire débarquant dans la nouvelle ville, également personnifiée, avec la Monnaie qui remet la corne d'abondance). La corne d'abondance symbolise l’apport une nouvelle richesse à la Cité. Il semble aussi que le revers VTILITAS PVBLICA entende affirmer l'utilité publique de ce changement [6]. La balance tenue par la Monnaie pourrait aussi symboliser le rééquilibrage des ateliers monétaires voulu par Constantin, car elle n’apparaît plus sur la monnaie à la « Providence ».

 

Constantin passe l'été de l'année 316 dans la cité arlésienne. Cette année là naît son fils Constantin II[7]. Le 1er mars 317, les fils de Constantin (Crispus et Constantin II) et de Licinius I (Licinius II) sont élevés au césarat à Serdica. Pour l'occasion, des monnaies à leur effigie sont frappées dans l'atelier arlésien.

  

A partir de 317-318, chaque officine a en charge la frappe d'un auguste ou d'un césar. Les monnaies des deux augustes sont frappées généralement par les quatre officines, celles de Constantin II par la deuxième, celles de Licinius II par la troisième et enfin celles de Crispus par la quatrième. Il y avait donc au sein de l'atelier un partage du travail établi non pas par type monétaire mais par empereur. Ce partage des tâches est également perceptible pour les monnaies au « Soleil » frappées entre 313 et 318 (SOLI INVICTO COMITI) pour lesquelles les officines S et Q fournissent en grande majorité des pièces présentant le Soleil tourné vers la gauche, les officines P et T le Soleil tourné vers la droite.

 

Une nouvelle réforme monétaire intervient en 318. Elle est marquée par la création d'un nouveau type de revers et de buste. Les monnaies au Soleil disparaissent pour faire place à des pièces aux «  Victoires » (VICTORIAE LAETAE PRINC(IPIS) PERP(ETVAE) – « Les victoires durables et heureuses du Prince »). Il faut imaginer que ce changement entraîna un retrait important des nummi en circulation.

 

A partir du début de l'année 320, l’atelier d’Arles frappe des monnaies célébrant le courage de l'armée VIRTVS EXERCIT(VS) et, quelques temps après, des monnaies au revers SARMATIA DEVICTA (« La Sarmatie vaincue »). Ces deux types marquent le rôle important de l’armée. Ils sont les symboles des Victoires de l’empereur : les captifs attachés au pied d’un vexillum et la Victoire portant un trophée, écrasant de son pied un ennemi à terre. La seconde monnaie fait aussi référence à la victoire de Constantin sur les Sarmates vers la fin de l'année 322. D’une manière plus courante, nous trouvons, dès 320, des monnaies aux « Vota » qui célèbrent avec anticipation les vœux des quindecennalia de Constantin le Grand. Puis, à partir de la fin de l'année 320, d'autres émissions sont frappées pour célébrer, également par anticipation, les vœux des quinquennalia des Césars.

 

       L'année 324 voit l'élévation du dernier fils de Constantin (Constance II) au rang de César, ainsi que l'élévation à l'Augusta de sa mère Hélène et de son épouse Fausta. A cette occasion, des monnaies à leur nom sont émises. Ces pièces de bronze, ou plutôt de billon, sont au module du nummus centenionalis et d’un poids moyen de 3,5 grammes. Les monnaies de Fausta sont émises seulement par la quatrième officine avec les légendes SALVS REIPVBLICAE ("Le Salut de l'Etat") et SPES REIPVBLICAE (« L'espérance de l'Etat »). Pour les deux séries, l’impératrice semble tenir dans les bras ses deux derniers fils, Constant et Constance II. Pour Constantin, ces légendes présentant Salus et Spes sur les monnaies de son épouse montrent qu’il désigne ses fils comme le salut et l’avenir de Rome.

 

Quant à Hélène, la mère de Constantin, une seule pièce a été frappée à Arles à son effigie (SECVRITAS REIPVBLICE – « La Sécurité de l'Etat ») pour six émissions différentes. Toutes les monnaies d’Hélène sont frappées par la troisième officine jusqu’au début de l’année 329, puis par la première et la deuxième officine en 329, juste avant son décès.

 

De 324 à 330, deux nouveaux types sont émis pour l’ensemble des Constantiniens (Constantin I, Constantin II, Crispus et Constance II). Ces nummi présentent un revers à la Providence impériale (PROVIDENTIAE AVGG ou PROVIDENTIAE CAESS) et pèsent en moyenne 3,4 grammes. Le revers est décoré d’une porte de camp surmontée de deux tourelles et d'une étoile.  Un an après, fin 325, un autre type de monnaie au « courage des empereurs » vient compléter les émissions à la « Providence » (VIRTVS AVGG ou VIRTVS CAESS).

 

Pendant les années 320-330, la répartition des empereurs selon les officines est modifiée. Les monnaies de Constantin I sont alors frappées principalement par la première officine (très rarement par l'officine S), celles de Licinius Ier par la deuxième, celles de Licinius II par la quatrième, celles de Crispus par la troisième (rarement par la quatrième) et enfin celles de Constantin II par la quatrième (quelquefois par la troisième). Cela montre que lorsqu’une officine était surchargée de travail, une autre pouvait l'assister. Nous pourrions aussi avoir affaire à des monnaies hybrides.

 

 A partir de 329, le nombre d'officines est réduit à deux au lieu de quatre avec l’émission T/F/PCONST.

L'année 328 est importante pour la cité. Elle prend à cette date le nom de Constantina, sans doute en l'honneur de Constantin II qui y est né douze ans plus tôt [8]. Les graveurs transforment alors l'exergue des revers en CONST suivi ou précédé des lettres PST ou Q. Le changement de nom de la ville en l’honneur de Constantin II et non de Constantin I est confirmé par plusieurs faits. Le Prince est natif de la cité arlésienne. De plus, à la mort de Crispus, Constantin le Jeune devient le fils aîné de Constantin. Il est le seul qui puisse être associé au gouvernement. Enfin, le fait d'attribuer son nom à une grande ville de l'Empire représente le meilleur moyen de montrer la suprématie de la famille constantinienne.

 

A partir de 330 intervient une nouvelle réduction pondérale, probablement juste après le 11 mai 330, date de l'inauguration solennelle et religieuse de Constantinople (l'ancienne Byzance), qui devient ainsi le grand centre politique de l'Empire. Pour l'occasion, de nombreux nummi sont frappés dans tous les ateliers monétaires romains. Cette nouvelle espèce, plus légère (2,5 g. en moyenne au lieu de 3,4 g.) est dépourvue de l'effigie et de la titulature impériales, mais personnifie les deux capitales, Rome et Constantinople, popularisant de ce fait l'idée de la direction bicéphale de l'Empire.

 

La première fait référence au mythe fondateur de la ville, l'VRBS ROMA : la louve allaitant Rémus et Romulus. La seconde, au type de CONSTANTINOPOLIS, pourrait quant à elle faire allusion à la victoire navale de Byzance en 324.

 

En même temps que ces monnaies au type urbain circulent de nouvelles pièces qui mentionnent la GLORIA EXERCITVS    (« La gloire de l'armée ») et qui présentent deux enseignes militaires placées entre deux soldats.

 

Très courants, ces nummi sont émis jusqu'en 341, ce qui nous donne un éventail assez large et intéressant de séries monétaires.

 

Au milieu des années 330, une crise liée à une inflation importante oblige les Constantiniens à procéder à une nouvelle réduction pondérale : réduction du poids (1,5 g. en moyenne) et du diamètre des pièces (14-15 millimètres).

 

En mai 337, Constantin le Grand décède après plus de trente ans de règne. Pour la circonstance et en sa mémoire, de petites pièces posthumes sont frappées. Celles-ci présentent, au revers, l'empereur voilé dans un quadrige surmonté de la main de Dieu (sans légende) ou l'empereur debout tenant une haste et un globe (AETERNA PIETAS – « La piété éternelle »).

 

Sa mort ouvre une querelle de succession entre ses fils pour le partage du monde romain. Constantin II obtient la partie occidentale de l’Empire (Espagne, Bretagne, Gaule), Constant la partie centrale (Italie, Afrique et Balkans) et Constance II la partie orientale, notamment l’Asie Mineure. Constantin II meurt en 340, au cours de la guerre qui l'oppose à son frère Constant. L’atelier monétaire d’Arles passe aussitôt aux mains de ce dernier. Celui-ci souhaite que la marque d’atelier reprenne sa nomination d’origine en PARL. Cet élément confirme le fait qu’Arles s'est nommée Constantina en l’honneur de Constantin le Jeune (et non pas en celui de Constantin I ou Constance) car elle perd ce nom immédiatement après sa disparition.

 

A partir de 341, les monnaies au type GLORIA EXERCITVS et celles aux capitales sont remplacées par les Victoires des deux empereurs : Constant et Constance. Ces nummi à la légende VICTORIAE D D AVGG Q N N (« Victoires de nos empereurs et maîtres ») pèsent en moyenne 1,3 g. et sont émis jusqu'en 348.

 

Cette période de sept années nous donne un éventail assez large d'émissions monétaires pour l’atelier d’Arles dont la particularité est de se différencier, d'abord, par des lettres seules ou des monogrammes, puis par une palme située entre les Victoires.

 

Vers le milieu de l’année 348 intervient une nouvelle réforme monétaire qui se caractérise par la frappe de trois pièces en bronze, de module et de poids différents. C’est la première fois, depuis plusieurs décennies, qu’un système monétaire à plusieurs pièces pour le bronze apparaît. Cela concerne un grand bronze d'un poids moyen de 5,2 g. qui porte dans les textes antiques le nom de pecunia maiorina (l'aes 2 lourd) et un petit bronze d'un poids moyen de 2,6 g. (l'aes 3). Entre les deux, nous trouvons un moyen bronze de 4,2 g. (l'aes 2 léger).

 

Les trois nouvelles dénominations présentent au revers la même légende FEL(ICITATIS) TEMP(ORVM) REPARATIO (« Le retour des temps heureux »), mention que l’on retrouvera pendant dix ans, jusqu’en 358. Plusieurs thèmes sont développés. La pièce la plus lourde (l'aes 2 lourd), le type à « la galère », présente l'empereur debout sur un vaisseau tenant un labarum et un globe surmonté par un Phénix (symbole de renaissance) et plus rarement par une Victoire (globe nicéphore). L’aes 3, le plus petit module de la série, montre la même description mais se différencie par un diamètre inférieur (17 mm au lieu de 22 mm). L'aes 2 léger présente l'empereur ou Virtus invitant un habitant à sortir d’une hutte placée sous un arbre dans le but de le rassurer (type à la hutte). Enfin, en ce qui concerne la monnaie au plus petit module, nous avons un autre aes 3 au Phénix, présenté debout sur un rocher ou sur un globe. Cet oiseau fabuleux qui renaît toujours de ses cendres est le symbole de la résurrection de l’Empire romain.

 

L'année 350 est celle du décès de Constant et celle de l'usurpation de Magnence, général romain qui décide de prendre le titre d’auguste et de récupérer la partie occidentale de l’Empire. Arles, frappe alors assez rapidement des monnaies à son effigie. Lors de sa prise de pouvoir, il ne touche pas au système monétaire de 348 et frappe toujours des aes 2 lourds (maiorinae) taillés au 1/62e de livre. Il est fort possible que pendant quelques mois, même pendant les trois années de son règne, Magnence ait neutralisé l’atelier monétaire d’Arles afin qu’il ne frappe plus de pièces pour son ennemi Constance II.

 

Au milieu de l’année 350, Magnence décide de transmettre une partie de son pouvoir à son jeune frère Décence. Le monnayage de bronze des deux usurpateurs est composé principalement de pièces à la légende VICTORIAE D D N N AVG ET CAES (« Aux Victoires de nos Maîtres Auguste et César »).

En 353, une nouvelle monnaie en bronze, d’un poids très lourd [9], est frappée par Magnence et Décence. Celle-ci est émise dans le but de financer les campagnes militaires des usurpateurs et porte la légende SALVS D D N N AVG ET CAES (« Le salut de nos seigneurs Auguste et César »). Cette pièce présente au revers un grand chrisme flanqué de l'alpha et de l'oméga. Pour l’occasion et dans un besoin d’optimiser l’atelier arlésien, une nouvelle officine, tercia, voit le jour.

 

Après sa victoire sur l'usurpateur Magnence, Constance II s'installe quelques temps dans la cité arlésienne à l’automne 353. Nous savons qu'il s’y trouve en octobre car selon l'auteur antique Ammien Marcelin, l'empereur y donne des jeux publics pour fêter ses Tricennalia [10]. La numismatique confirme cette présence par la frappe de médaillons d'or au type de l' « adventus » : l'empereur rentrant à cheval dans la ville (revers FELIX ADVENTVS AVG – « L'heureuse arrivée de l'Auguste ») et GLORIA REIPVBLICAE (« La gloire de l'Etat »). Pour accueillir le vainqueur, la cité change une nouvelle fois de nom et devient Constantia. Dorénavant, les monnaies d'or sont signées KONSTAN, celles d'argent et de bronze CON, abréviation de Constantia, précédée de la lettre d'officine P, S ou T.

 

A la mort de Magnence, Constance reprend le contrôle de l’atelier arlésien. Il fait alors frapper de nombreuses pièces en son nom mais également au nom du César Constance Galle, son cousin.

En 353, une nouvelle réduction pondérale amène une modification de la pièce d'argent. Une grande quantité de siliques au « Vota » sont frappées dans l’atelier arlésien, monnaies célébrant les Tricennalia de l’Empereur (VOTIS/XXX/MVLTIS/XXXX dans une couronne de laurier). Durant l’automne 353, comme pour Constance Galle, les premières siliquae de Constance II sont émises avec l'exergue PAR, puis les suivantes sont signées PCON.

 

Cette modification est un élément précieux qui indique que le changement de nom de la ville a bien eu lieu pendant la visite de Constance II à Arles. Dans un premier temps, ces pièces d’argent sont frappées avec parcimonie. Mais à partir de 355 et après une nouvelle réduction de poids, il est fort probable, au vu de l’abondance de ces pièces, que l'atelier monétaire d'Arles ait fourni alors en numéraire d'argent l'ensemble de la Gaule [11]. Cela peut s’expliquer par la fermeture de l’atelier d’Amiens et surtout par la destruction de la ville de Trèves, obligeant ainsi Constance à concentrer les frappes monétaires dans des zones plus sûres [12]. De plus, il semble que ces siliques aient été fabriquées et exportées immédiatement dans le but de payer les soldes des légionnaires qui défendaient le limes. En effet, aujourd’hui, nous trouvons de manière abondante ces pièces en Allemagne, en Belgique et surtout au Royaume Uni. En revanche, aucune de ces siliques n’a été découverte à Arles ou dans ses alentours.

 

Pour le monnayage de bronze, nous trouvons la même particularité que celui de l’argent. En effet, à l’automne 353, après la mort de Magnence, l’atelier d’Arles frappe de rares aes 2 au « cavalier » dont l’exergue est toujours PARL.

A partir de la venue de Constance dans la cité, une réforme monétaire intervient et des aes 3 sont émis avec l’exergue PCON (sans lettre dans le champ). Pour l'atelier d'Arles, ils sont reconnaissables à partir de 354 par une lettre placée dans le champ à gauche ou au centre du revers. Ces aes 3 au « cavalier » sont complétés à partir de 358 par des aes 4 au revers SPES REIPVBLICE (« L'espérance de l'Etat ») dont le poids moyen est proche de 1,7 g. Pour l’ensemble du monnayage de bronze de cette période et jusqu’à la mort de Constance II, fin 361, les deux premières officines frappent essentiellement des pièces pour Constance ; la troisième est réservée à Julien II.

 

En février 360, Julien est proclamé Auguste par son armée à Lutèce (l'actuel Paris). L'atelier d'Arles frappe alors des monnaies au nom des deux empereurs, tous les deux Augustes. Mais, peu de temps après, les deux hommes sont en guerre et Constance décède en novembre 361, laissant ainsi un grand Empire à son cousin Julien II. Le monnayage arlésien de Julien II est reconnaissable par la présence d’un aigle sur de nombreuses émissions de monnaies en or, argent ou bronze. Nous trouvons cet oiseau devant le taureau pour l'aes 1, dans le médaillon de la couronne pour l'aes 3 et la silique, ainsi que pour la quasi-totalité des monnaies d'or.

 

A la mort de Julien en juin 363, Jovien, capitaine de la Garde impériale, est proclamé empereur. L'atelier d'Arles frappe alors du numéraire en bronze et en argent à son effigie, numéraire que nous pouvons considérer comme identique à celui de son prédécesseur.

 

En février 364, après la mort de Jovien, Valentinien I est nommé auguste par l'armée. Très vite, pour l’aider à gérer l’Empire et les problèmes liés aux invasions, il décide de nommer Augustus son frère Valens. Tandis que Valentinien part pour l´Occident, Valens prend en charge l´Orient. A partir de cette date, le monnayage d’Arles ne sera plus aussi varié que pour les périodes précédentes. Les thèmes utilisés sont liés à la propagande impériale, à la gloire des Romains, aux Victoires des empereurs, à la force et au courage de l’armée. Ainsi, pour les trois métaux, nous avons des solidi, des miliarenses, des siliques et des aes 3 portant la même légende RESTITVTOR REIPVBLICAE (« Le Restaurateur de l'Etat »).

 

La nouveauté pour les siliques est la disparition de la lettre d'officine (P, S ou T) à l'exergue. Elle est remplacée, dans le champ du revers, par les lettres OF(FICINA) suivies du chiffre de l'officine en latin (OF/I, OF/II ou OF/III). Cette originalité se retrouve aussi pour les monnaies de bronze à la légende GLORIA ROMANORVM  (« A la gloire des Romains ») ou encore à la légende SECVRITAS REIPVBLICAE (« La sécurité de l'Etat »).

 

En août 367, Gratien, fils de Valentinien, est nommé auguste. L'atelier monétaire d’Arles frappe alors du numéraire pour les trois empereurs (Valens, Valentinien I et Gratien). On note pour Gratien la présence d'un nouvel exergue pour les miliarenses frappées après 367 : SMKAP (Sacra Moneta KonstantiA Prima). Contrairement aux trois années précédentes où des siliques sont émises par les deux Augustes, il n’en existe plus pour Gratien. Cela pourrait confirmer l’arrêt des frappes d’argent dès 367, l’atelier de Trèves reprenant le contrôle des frappes de pièces en métal précieux à partir de cette date. 

 

Valentinien I meurt en novembre 375. Il est remplacé par son autre fils Valentinien II. Pour celui-ci, seules des monnaies en bronze sont frappées. Dans un premier temps, les pièces émises pour cet empereur sont rares. Il faut attendre 381 pour voir apparaître un numéraire plus important.

 

Après la mort de Valens, Gratien décide, de nommer augustus Théodose, un général d'origine ibérique, pour gouverner l’Orient. A partir de cette date et jusqu'en 386, l'atelier monétaire d'Arles frappe exclusivement des monnaies de bronze. Aux aes 3 déjà frappés viennent s'ajouter de petits aes 4, de 10 à 12 mm de diamètre, dont le poids moyen avoisine le gramme.

 

En 381, une nouvelle réforme entraîne la fabrication de monnaies de bronze plus grandes et plus lourdes (près de 4,5 g.). Ces aes 2 portent la légende REPARATIO REIPVB (« Le rétablissement de l'Etat ») et présentent l'empereur debout, relevant une femme à la tête tourelée et tenant un globe nicéphore.

 

L'atelier d'Arles fournira une très grande quantité de ces espèces pour les trois empereurs du moment ainsi que pour l'usurpateur Maxime (Magnus Maximus) qui règne en Occident à partir de 383. Ces monnaies sont très courantes pour Gratien et Maxime. En revanche, elles s'avèrent relativement rares pour Valentinien II et surtout pour Théodose. De grandes quantités de ces monnaies ont été trouvées en Espagne, ce qui laisse penser à la présence d’ateliers secondaires. Ainsi, il est fort possible que de nombreuses monnaies avec l’exergue PCON aient été frappées dans cette région de l’Empire afin de soutenir l’atelier principal arlésien.

 

Après la mort de Maxime intervenue en août 388, l'atelier frappe des monnaies pour plusieurs empereurs : Valentinien II jusqu'en 392, Eugène jusqu'en 394, Théodose jusqu'en 395, Arcadius jusqu'en 408 et Honorius jusqu'en 423. Cela se traduit au revers des monnaies par une légende finissant souvent en AVGGG (3 G = 3 Augustes). De 388 à 395, les frappes de l'atelier se limitent à des aes 4 (entre 12 et 14 mm de diamètre et un poids moyen de 1,2 g.) à la légende VICTORIA AVGGG ("La Victoire de nos trois empereurs") : une Victoire marchant à gauche, tenant une palme et une couronne. Ce type monétaire est très courant.

 

A partir de 395, l'Empire est partagé entre deux frères : Arcadius qui gouverne l'Orient et Honorius l'Occident. Ce dernier, comme ses prédécesseurs, fait également frapper quelques aes 4 à la « Victoire ». D’une manière générale, nous pouvons constater que pendant cette période, l’atelier d’Arles est le principal fournisseur d'aes 4 (VICTORIA AVGGG) de la Gaule, au détriment de Trèves, qui se spécialise dans la frappe de métaux précieux[13]. En effet, dans les trésors occidentaux de bronzes de la fin du IVe s., les monnaies arlésiennes représentent près de 60 % des monnaies identifiables. Cette prédominance peut s’expliquer par le fait qu’Arles possède alors trois officines alors que Trèves et Lyon n’en ont qu’une seule[14].

 

Comme pour les périodes précédentes, nous remarquons qu'à chacune des trois officines existantes a été attribuée la frappe d'un Auguste et cette fois, selon l’ordre hiérarchique. Ainsi, la première se consacre principalement à Valentinien II, la deuxième à Théodose et la troisième à Honorius. Curieusement, les trois officines frappent environ le même nombre de pièces pour Arcadius.

 

Le Ve siècle est, si l'on peut dire, « l'âge d'or » des monnaies en métal précieux. Devenue siège de la préfecture des Gaules, la cité arlésienne connaît un nouveau regain d'activité. L'or et l'argent y sont émis de manière assez abondante notamment entre les règnes de Constantin III et Jovin (407-413) et ceux d'Avitus et Majorien (455-461). Pour les derniers empereurs romains, l'atelier arlésien ne frappera que des monnaies d'or.

Les solidi présentent les lettres KONOB, COMOB ou CONOB, à l’exergue, avec ou sans les lettres A et R dans le champ de part et d'autre de la figuration du revers. Le thème utilisé est toujours le même (type à « l'Ister ») : l'empereur debout, tenant un étendard ou une croix de la main droite, un globe surmonté d'une Victoire de la gauche et posant le pied soit sur un captif, soit sur un serpent à tête humaine. Les légendes de ces monnaies d’or sont toujours dédiées à la « Victoire des empereurs » VICTORIA (A)AVGGG, sauf une monnaie RESTITVTOR REIP (« Le Sauveur de l'Etat ») à l'effigie de Jovin.

 

Le monnayage d'argent émis entre les règnes d'Honorius et de Sébastien est représenté par des siliques à la légende VICTORIA AVGGG (ou AVGG – « La Victoire de nos empereurs »). On observe au revers de ces petites pièces, la figuration de Rome assise, tenant d'une main un globe nicéphore et de l'autre une haste. Jovin et maintenant Sébastien (inédites) se démarquent des autres empereurs par d’autres pièces à la légende RESTITVTOR REIP. L'exergue de ces siliques est généralement composé des quatre lettres KONT ou CONT. Néanmoins, certaines monnaies de Constantin III reprennent l'autre nom de la ville, ce qui se traduit par une marque d'atelier en SMAR (Sacra Moneta ARelate).

 

Après le règne de Sévère III (461-465), il semble que l'atelier ait fermé ses portes pendant quelques années. En effet, il n’a pas été encore trouvé une seule monnaie des empereurs Anthémius (467-472), Olybrius (472) et Glycérius (473-474). Il faut attendre 474 pour qu'apparaissent de nouvelles émissions de solidi au nom de Jules Népos, puis de Romulus Augustule, les deux derniers empereurs romains.

 

 

Ces pièces d’or reprennent le type byzantin et comme pour certains solidi frappés pour Constance II dans les années 350, l'empereur est représenté le buste de face, tenant une haste et un bouclier.

 

A la fin du Ve siècle, l’atelier monétaire continue à battre monnaie malgré la prise de la ville par les Wisigoths. La riche période romaine fait alors place à une période plus trouble : le Haut Moyen-Age. La cité d’Arles continuera de battre monnaie pendant plus d’un millénaire pour les rois mérovingiens, carolingiens, les evêques et les archevêques. Mais ceci est une autre histoire...

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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Charlet J.L. : L'atelier monétaire d'Arles sous l'Empire romain, Annales du Groupe numismatique de Provence, Aix-en-Provence, Tome II, 1987, p. 13-30.

Charlet J.L., Guery R. : Un sceau monétaire de l'atelier d'Arles sous Constantin Ier ?, Extrait de la Revue numismatique, 6e série, tome XXV, p.209-211, 1983.

Depeyrot G. : Les émissions monétaires d’Arles (IVè-Vème siècles), Moneta 6, Wetteren, 1996.

Depeyrot G. : Problèmes arlésiens du IVe siècle (313-348), extrait de la Revue suisse de Numismatique, vol. 62, p. 47-64, 1983.

Ferrando Ph. : Les trouvailles monétaires de Camargue, Delta du Rhône-Camargue antique, médiévale et moderne, Bull. Archéologique de Provence, 2004, p. 217-240.

Ferrando Ph. : L’atelier monétaire d’Arles (313-476), Carte archéologique de la Gaule - Arles, Crau, Camargue, 13/5, p. 188-193, 2008.

Ferrando P. : Les monnaies d’Arles, de Constantin le Grand à Romulus Augustule (313-476), Le Poiré-sur-Vie, 1997.



[1] L.A. Constant, Arles, 1928, p. 32.

[2]  La Fourmi, cave n° 7, 2001, couches 131, 133, 136, 159.

[3] Cette proportion est identique pour l’ensemble des monnaies de la période 313-318.

[4] Nombre d’exemplaires recensés : 37 nummi pour Constantin et 8 pour Licinius.

[5] Ostie n’est qu’un quartier périphérique de Rome, son port maritime.

[6] Laffranchi L., La translation de la monnaie d'Ostie à Arles dans la typologie numismatique Constantinienne, Revue Belge de Numismatique, 1921, p. 7 à 15.

[7] Palanque J.R., Chronologie Constantinienne, Revue des études anciennes, 1938, p. 249.

[8] J. Maurice, Numismatique Constantinienne, VIII, 1908-1912, p. 180-181.

[9] Le poids moyen est proche de 8,4 g. au début de 353.

[10] H. Rolland, Extrait de Catomus, archives d'Arles A25039, Tome XIII 2, 1954, p. 204.

[11] G. Depeyrot, Le numéraire gaulois du IVe siècle, Livre i, 1982, p. 111.

[12] G. Depeyrot, Le numéraire gaulois du IVe siècle, Livre i, 2ème édition, Moneta 24, 2001, p. 115.

[13]  G. Dunet : B.N., Trésors monétaires VI, 1982, Le trésor de Linas, p.112-113.

[14]  R. Delmaire : B.N., Trésors monétaires V, 1983, Un trésor d’aes 4 au Musée de Boulogne-sur-Mer, p.161.

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