DEUX PIECES ROMAINES EXCEPTIONNELLES POUR L'ATELIER MONETAIRE D'ARLES :
Philippe FERRANDO
Fig. 1 : Le départ de la Monnaie de la ville d’Ostie…et l’arrivée dans la cité d’Arelate (diam. X 2).
L'atelier monétaire, l’ouverture :
Il faut attendre les premières années du IVe siècle de notre ère pour voir frapper du numéraire dans la cité arlésienne. Cela peut paraître étonnant car d'autres villes voisines comme Marseille, Nîmes ou Avignon, émettaient des monnaies depuis bien longtemps. C’est en 313, précisément, que Constantin le Grand, après avoir éliminé Maxence (fin 312), décida de transférer l'atelier monétaire d'Ostie vers Arles, où l'empereur choisit d’établir également une de ses résidences [1].
Cette décision est importante car l’installation de cet atelier va apporter à la cité d’Arelate une richesse économique considérable. L’atelier monétaire d’Arles est vraisemblablement l’une des premières entreprises importantes de la ville, puisqu’il faut alors dénombrer la présence de plusieurs dizaines de salariés pour la fabrication, annuellement, de millions de pièces.
Constantin disperse les ateliers monétaires occidentaux et met ainsi en avant la position avantageuse d'Arles, ville située près d’un fleuve important utilisé pour le commerce et d’un carrefour de voies routières très fréquentées (Voie Agrippa, Voie Aurélienne, Voie Domitienne). L’atelier monétaire d’Ostie est trop près de celui de Rome qui fabrique déjà du numéraire dans quatre officines. Pour Constantin, ce transfert permet d’augmenter la production des ateliers de Lyon et de Trèves et de créer, aussi, une quantité suffisante de monnaies pour alimenter le sud de la Gaule, notamment l’Espagne. En plus, en pleine période de conflits, l’atelier d’Arelate, avec ses quatre officines, va fournir le numéraire nécessaire pour financer les campagnes militaires.
Le déplacement du personnel et de l'outillage d'Ostie ont sans doute demandé un certain temps. L'hypothèse la plus plausible situe la date d'ouverture de l'atelier au printemps 313 (en avril ou mai) juste avant la réduction de la monnaie de billon (taille de 1/72e de livre pour un poids moyen de 4,55 g. à 1/96e de livre pour un poids moyen de 3,36 g.). Ceci est indiqué par l'absence, dans le monnayage d'Arles, de monnaies à l'effigie de Maximin Daza décédé au printemps 313, et que l’on trouve, avant sa mort, sur le monnayage d’Ostie. Un autre indice est la présence, pour l’atelier arlésien, de monnaies en bronze avec Constantin habillé de la robe consulaire (troisième consulat), donc avant la fin de l’année 313 [2].
La très grande ressemblance du style des premières monnaies d'Arles avec les dernières d'Ostie apporte la preuve du transfert des graveurs entre les deux ateliers.
Il est ainsi fort possible que pour des raisons d’efficacité, des coins aient été apportés d’Ostie, puis retravaillés sur Arles ou encore qu’un certain nombre de coins aient été gravés à Ostie avec la marque du nouvel atelier.
D’ailleurs, le nombre d'officines (quatre) ainsi que la grande variété des types monétaires (14 coins de revers pour l’or et 19 coins de revers pour le bronze d’avant la réforme) sont autant d'éléments qui démontrent que l'atelier a su s'organiser très rapidement.
Deux monnaies exceptionnelles pour l'atelier monétaire d'Arles :
Parmi les premières monnaies en bronze frappées après cette première réforme (entre 313 et 315), nous trouvons toute une série de pièces courantes à la légende SOLI INVICTO COMITI (Au Soleil invincible) et un peu plus rares à la légende MARTI CONSERVATORI (A Mars sauveur). Mais nous trouvons aussi deux types de pièces remarquables, d'un point de vue numismatique et surtout historique, que nous pouvons considérer comme des séries commémoratives : elles portent la légende VTILITAS PVBLICA ("L'intérêt public") et PROVIDENTIAE AVGG ("A la providence des Augustes").
Ces deux dernières pièces sont très intéressantes car propres à l'atelier d'Arles. Elles sont également assez rares car seulement 28 exemplaires sont répertoriés (14 de chaque) avec différentes variantes (3 variantes de buste pour la légende VTILITAS PVBLICA et 4 pour PROVIDENTIAE AVGG). Elles illustrent d'une manière significative le départ de la Monnaie d'Ostie (le navire quittant Ostie, représentée ici par Rome personnifiée avec à son bord la Monnaie tenant une corne d'abondance), puis son arrivée à Arles (le navire débarquant dans la nouvelle ville, également personnifiée, avec la Monnaie qui remet la corne d'abondance). Ceci est symbolique car la corne d'abondance apporte une nouvelle richesse à la Cité. Il semble aussi que la pièce VTILITAS PVBLICA entende affirmer l'utilité (ou l'intérêt) public de ce changement [3]. La balance tenue par la Monnaie pourrait aussi symboliser le rééquilibrage des ateliers monétaires voulu par Constantin, car elle n’apparaît plus sur la monnaie à la « Providence ».
À l’avers de ces pièces, Licinius est toujours figuré d’une manière simple, à savoir avec un buste lauré, portant la cuirasse et le paludamentum. En revanche, le portrait de Constantin présente de nombreuses et rares variantes. Il révèle ainsi une image d’homme politique, notamment lorsqu’il porte la trabea (robe consulaire) et les insignes du pouvoir (sceptre aétophore et globe nicéphore) mais aussi une image de soldat, défenseur de l’Empire, avec les attributs du guerrier (cuirasse, lance sur l’épaule, bouclier). Cette différence, dans la représentation de l’image impériale des deux adversaires, pourrait évoquer la supériorité que Constantin tente d’établir face à son beau-frère, grâce à ses ateliers monétaires. D’ailleurs, cette différence se généralise pour d’autres types monétaires. Pour en terminer avec ces deux pièces importantes pour l’atelier monétaire d’Arles, elles viennent confirmer que le transfert du matériel et des hommes s’est fait par la mer, parcours alors plus sûr que la voie terrestre.
Bibliographie :
BRUUN (P.) - The Roman Imperial Coinage, Volume VII, Constantine and Licinius, A.D. 313-337, Londres, 1966.
FERRANDO (Ph.) - Les monnaies d'Arles, de Constantin le Grand à Romulus Augustule, 313-476, Arles, 1997.
FERRANDO (Ph.) - L'atelier monétaire d'Arles, de Constantin le Grand à Romulus Augustule, 313-476, Arles, 2010.
LAFFRANCHI (L.) - La translation de la monnaie d'Ostie à Arles dans la typologie numismatique Constantinienne.
MAURICE (J.) - Numismatique Constantinienne, Vol II, p. 139-195, Paris, 1911.
Fig. 2 : Les différents bustes de Constantin I (cinq types différents) et de Licinius I (un type) (diam. X 2).